Allô Police, 2002, no
20, p.3-4-5
Le scandale du
libéré conditionnel encore accusé de meurtre Repeat pp.3-4-5
À cause de Conrad Brossard
Cet ex-employé de banque est
invalide depuis 22 ans!
Brossard la tiré et poignardé
pour rien en 1980
Box Encore libre après 1 meurtre et 2 tentatives de meurtre
"Cest impensable. Notre système et malade!"
Reportage, texte et photos : Jean FORTIER
La libération conditionnelle de Conrad Brossard, 54 ans, le présumé meurtrier de la trifluvienne Cécile
Clément, il y a deux semaines, a soulevé beaucoup de désapprobation dans la société et a rappelé de bien mauvais souvenirs
à Marc Lapierre, 44 ans, une des deux victimes de tentative de meurtre tout à fait gratuites de Brossard survenue il y a plusieurs
années.
Lapierre, qui vit depuis
22 ans avec une incapacité psychologique partielle permanente de 58 %, a retrouvé son goût de se battre en apprenant
l'arrestation de Brossard, le dimanche 5 mai dernier.
En apprenant quil était
recherché pour le meurtre de Trois-Rivières, quelques jours auparavant, il a craint et ne sortait plus. Il avait peur que Brossard ne réapparaisse dans sa vie.
Marc Lapierre, qui a
vécu deux importantes dépressions nerveuses au cours des 22 dernières années, ne comprend pas que les commissaires Jean Dagenais,
ancien directeur de police au SPCUM, Gilles Roussel, ancien directeur de la prison Parthenais, et Me Jean-Pierre
Beauchesne, ancien candidat libéral dans Verchères, défait aux élections fédérales de 1989, se soient fiés uniquement sur
le comportement de Brossard, au pénitencier de Drummondville, pour le remettre en liberté.
Pourquoi?
"Pourquoi les commissaires ne tiennent-ils pas compte du profil criminel des prisonniers? Si les commissaires avaient analysé le comportement criminel de Brossard, un condamné à vie, lors de l'étude
de sa libération conditionnelle, jamais il n'aurait été remis en liberté en février dernier", a mentionné Lapierre qui
songe à ajouter son nom aux 35 autres victimes des mauvaises décisions de la Commission nationale des libérations conditionnelles
(CNLC).
"Cet homme s'est évadé en 1970 alors qu'il purgeait une lourde peine, depuis 1966, pour un vol qualifié et des voies
de fait avec intention. Le jour de son évasion, il a tué André Lahaise. Il a été condamné à l'emprisonnement à vie en mars 1971 pour ce meurtre non qualifié. En 1980, il s'évade du pénitencier de Cowansville lors d'une visite d'un groupe de
détenus aux Floralies de Montréal. Son nom n'aurait jamais dû se trouver parmi
ceux des détenus méritant cette sortie. Quelques heures plus tard, il m'enlevait,
me séquestrait, me blessait et me poignardait avant de me laisser pour mort dans un boisé de Tracy. Il a été condamné à 23 ans pour mon agression. En 1987, il
a obtenu une libération conditionnelle. En 1988, il est condamné à perpétuité
pour la tentative de meurtre de Carmen Perron. Et puis, en février 2002, les
commissaires, malgré tout ce lourd passé judiciaire, lui accordent une autre libération conditionnelle au cours de laquelle
il a tué Cécile Clément de Trois-Rivières. C'est impensable. Ces gens-là manquent de sérieux. Regardez-moi! Brossard a fait de moi un assisté social à vie. Qui va engager
quelqu'un qui a 58 % d'invalidité psychologique partielle permanente? Cet
homme a gâché ma vie, celle de Carmen Perron et celle des familles Lahaise et Clément.
Et les commissaires s'obstinent à le remettre continuellement en liberté sous condition. C'est impensable. Notre système est malade. Les prisonniers, condamnés à vie, ont droit à la Loi de l'espoir (qui permet à un détenu de demander
une révision de sa sentence à perpétuité au bout de 15 ans). Moi, je n'ai pas le droit à une Loi de l'espoir", a dit sur un ton nostalgique Marc Lapierre, qui a
tout de même obtenu, en 1990, un baccalauréat en information scolaire et professionnelle après quatre ans d'études universitaires. "J'ai entrepris ces études pour me démontrer
que mon cerveau fonctionnait encore bien", nous a-t-il.
Le 11 juillet 1980
Marc Lapierre se souvient
très bien des événements du 11 juillet 1980. Vers 23 h, il était stationné
dans le demi-cercle de l'Hôpital Notre-Dame et attendait que sa copine termine son quart de travail. Il était assis derrière le volant et jouait de la guitare.
Soudainement, un homme
accroupi, armé d'un revolver, a ouvert la portière du côté passager et l'a sommé de partir en vitesse. Il a obéi sous la menace de l'arme. Il a suivi les indications
du chemin qu'il lui donnait. Les deux hommes ont abouti dans le parc industriel
de Longueuil. Chemin faisant, Marc Lapierre a été forcé de répondre aux questions
personnelles posées par Brossard. Il l'a informé que sa blonde suivait dans un
autre véhicule, conduit par un complice.
Une fois dans le parc,
Brossard lui a dit qu'il se nommait Luc et qu'il était un agent de la GRC en congé qui profitait de ses congés pour faire
des enlèvements d'employés de banque et de leur conjointe pour obtenir des rançons.
À cette époque, Marc Lapierre était à l'emploi de la Banque canadienne nationale, devenue la Banque Nationale. Brossard lui a dit qu'il avait déjà loué une maison où sa blonde l'attendait.
Marc Lapierre a dû laisser
le volant de sa Camaro, cinq vitesses, à Brossard qui avait visiblement de la difficulté à la conduire. Ils ont emprunté la route 138 en direction de Sorel. Marc
Lapierre a cru que son heure de liberté approchait quand il a vu des policiers occupés à rédiger un rapport d'accident. "Je suis passé à un pied du policier et je
n'ai pas pu l'alerter parce que Brossard avait mis son arme contre mes côtes" a expliqué le jeune employé de banque.
Tiré et poignardé
Le voyage du jeune homme
s'est terminé dans une clairière à Tracy. Vers 2 h 45, le 12 juillet
1980, une fois dans le bois, à la fin d'un chemin sans issue, Brossard lui a tiré une balle dans les côtes. "Je me suis protégé le visage et j'ai vu le feu sortir du revolver"
a précisé le quadragénaire, qui s'est laissé tomber à plat ventre sur le sol, les bras en croix. "J'ai rempli mes poumons d'air et j'ai fait le mort. Brossard s'est assis sur mes jambes et a commencé à me poignarder dans le dos. Je n'ai pas poussé un cri" a mentionné Lapierre qui a attendu que le bruit de son automobile s'éloigne
pour réunir toutes ses forces, se lever et se rendre au milieu de la route. Debout
sur la double ligne, il a tenté à deux reprises, sans succès, d'immobiliser un automobiliste pour obtenir de l'aide.
Il a fait un tour sur
lui-même pour apercevoir la lumière d'une ampoule électrique. Il s'est accroché
à cet espoir. Il s'y est dirigé en passant dans un marécage. Rendu près de la maison, il manquait de force pour grimper une coulisse de ciment. Il s'est relevé pour se rendre finalement jusque sur le balcon de la maison. Il a constaté qu'il y avait du monde. Trop faible, il s'est
affaissé devant la porte et a tenté d'attirer des occupants en donnant faiblement des coups de pied dans la porte.
Vers 3 h 15,
les policiers et les ambulanciers l'ont retrouvé sur le balcon à la suite d'un appel à l'aide des résidants de la maison. Les policiers étaient déjà à sa recherche puisqu'ils avaient été alertés par un des
deux automobilistes qui lui avait refusé son aide quelques minutes plus tôt. Il
a été transporté à l'Hôtel-Dieu de Sorel. Il a réussi à donner la fausse identité
de son agresseur, la marque de son automobile et le numéro de la plaque. Les
policiers de Montréal ont arrêté Brossard, vers 4 h 15, le 12 juillet 1980, à l'intersection des rues Saint-Denis
et Sainte-Catherine. Il a tenté de fuir à pied, mais a été rapidement rattrapé.
Une fois à l'urgence,
Marc Lapierre a entendu un membre du personnel médical compter ses 13 plaies au dos.
Une infirmière lui a dit qu'il allait vivre. Sur ces paroles, Marc Lapierre
a sombré dans un profond coma. Les médecins l'ont opéré et lui ont sauvé la vie. Après un séjour de trois mois aux soins intensifs et de deux jours dans une chambre
privée, Marc Lapierre a demandé à retourner chez lui.
11 ans sans sortir
Rendu à la maison familiale,
il a été 11 ans sans sortir parce qu'il avait peur. Deux de ses cousines lui
ont réappris à marcher. Quand il sortait de chez lui, quelqu'un devait l'accompagner
à son véhicule et attendre qu'il parte avant d'entrer dans la maison. Une fois
à destination, il ne sortait pas de son véhicule tant que la personne visitée n'était pas près de son véhicule pour l'accueillir.
En 1983, une de ses cousines,
atteinte d'un cancer, l'a amené à l'Hôtel-Dieu de Montréal, où il a fait du bénévolat auprès de personnes atteintes de cancer. Il a même été directeur, chargé des finances, de ce groupe de bénévoles. En 1986, il a acheté avec sa soeur la maison de sa grand-mère, dans la 13e Avenue,
dans le quartier Rosemont, à Montréal.
En 1987, il habitait
au troisième étage de sa maison quand Brossard a attenté à la vie de Carmen Perron qui demeurait dans la 16e Avenue,
du quartier Rosemont. Cette agression a été suffisante pour apeurer Marc Lapierre
qui s'enfermait de plus en plus dans sa coquille.
Il a pensé au suicide
En 1991, il était rendu
au bout et a songé à se suicider dans le Grand Canyon. Sa locataire de Rosemont
vivait un mauvais moment. Elle aussi songeait au suicide. Elle a accepté de le suivre. Il a acheté une fourgonnette
Toyota qu'il a modifiée pour installer une table et un espace pour dormir. Ils
s'étaient donnés une année pour réaliser leur suicide. Au bout de neuf mois,
ils ont terminé leur périple en Floride. Ils avaient réussi à retrouver leur
goût de vivre. Ils sont retournés à Montréal, heureux d'avoir fait le point sur
leur vie. En 1993, il a connu sa seconde dépression nerveuse d'importance. Il a refait seul, à l'inverse, son voyage de 1991, ce qui lui a permis de se retrouver.
De 1993 à 2002, Marc
Lapierre reprenait lentement le dessus sur son traumatisme. Au début de mai,
il a de nouveau craint pour sa vie en apprenant que Conrad Brossard était recherché pour le meurtre sordide de Cécile Clément.
Le dimanche 5 mai, il
a respiré d'aise en apprenant son arrestation. "Depuis cette date ma mémoire m'est revenue et je me souviens de tout dans les moindres détails. Je ne dors plus la nuit. J'écris toute la nuit et je dors
le jour, quand je ne suis pas réveillé par des bruits insolites" a conclu Marc Lapierre qui consacre beaucoup de son temps
à aider ses vrais amis.