Prélude au week-end
L'histoire commença le soir du 11 juillet 1980 à Montréal.
C'était une année particulière en ce qu'elle allait changer le cours de ma vie pour toujours. J'étais âgé de 22 ans et je commençais
à la Banque Canadienne Nationale. J'avais débuté ma carrière bancaire à l'âge de 18 ans en 1977 gagnant ma place au sein de
l'organisation grâce à une entrevue au bureau du personnel au siège social de la Banque elle-même. De par mes qualités au
niveau social, j'avais obtenu un poste de commis duquel, je devais par la suite, gravir les échelons de façon assez
exceptionnelle passant du poste de commis à l'épargne pour obtenir le poste de comptable de succursale en moins de quatre
ans. Pendant cette évolution, je fut également affecté à la formation du
personnel en succursale avec beaucoup de succès d'ailleurs.
Ce 11 juillet fut extrêmement déterminant
pour ce que fut le reste de mes jours et que dire de mes nuits par la suite et ce, jusqu'à aujourd'hui.
Je venais de quitter le domicile de mes parents vers 20h00 et je me dirigeais
vers Ville d'Anjou où habitaient les parents de ma petite amie de l'époque. Je devais récupérer les effets personnels de Liette
car nous avions projeté de nous rendre au parc du Mont-Tremblant pour y faire du camping pour la fin de semaine. Je quittais
donc le domicile de Liette vers 22h00 du soir ce vendredi, pour me diriger à l'hôpital Notre-Dame de Montréal. Liette y avait
un emploi temporaire pour la période estivale. Elle était étudiante au deuxième cycle en mathématique à l'Université
de Montréal. Elle devait terminer son quart de travail vers 23h00.
J'arrivais donc au lieu de rendez-vous vers 22h40. Je conduisais une voiture
de marque Camaro Z28 1978 de couleur rouge. J'étais stationné devant l'Hôpital Notre-Dame de Montréal à l'embarcadère prévu
du côté sud de la rue Sherbrooke.
J'étais assis dans ma voiture, je jouais de la guitare et je ne pensais
à rien d'autre si ce n'est qu'à me retrouver seul avec mon amie pour une fin de semaine au bord de la rivière avec notre petite
tente comme refuge, loin des bruits de la ville et tout près de nos rêves communs, nos ambitions. J'avais pour habitude
de tout planifier afin de profiter de ces moments de grande quiétude près de la nature. J'étais comme tout le monde de mon
âge pour qui la connaissance de la société et l'expérience dans la vie étaient encore bien limités. Ma voiture était toujours
rutilante. Je ne me doutais pas que dans le monde, il y avait des méchants comme je devais en rencontrer par la suite
et ce, dans toutes les couches de la société.
Vers 22h55, la portière du côté passager s'ouvre et accroupis dans l'ouverture,
il y a un homme qui pointe un revolver en ma direction. Du coup, une grande chaleur m'envahie partant des pieds et montant
à ma tête à la vitesse de la lumière et redescendant aussi rapidement tout en laissant un grand froid dans tout
mon corps.
Il s'agissait d'un homme vêtu d'un jeans, un veston de cuir brun et une chemise
avec des motifs de couleurs foncés. Il avait des cheveux bouclés de couleur brun foncé (une coupe afro) et la peau de son
visage était "magannée". Il avait environ 10 ans de plus que moi et je le voyais comme un vieux. En fait il avait 32
ans. L'ossature de son visage montrait des traits particuliers ainsi que des joues creuses et une mauvaise peau.
Il se glissa sur le siège du passager et referma la portière.
Route vers l'enfer
C'était le début de ma rencontre avec le diable en personne mais je ne le réalisais
pas encore. Je ne pouvais pas concevoir la nouvelle réalité qui me frappait en plein visage. J'essayais de rationaliser sans
pouvoir y parvenir avec le revolver dans les côtes alors que l'individu m'ordonnait de quitter les lieux au plus vite étant
lui-même poursuivit selon ses dires du moment. Au comble de la rupture dû à l'énervement, il me demanda de le conduire sur
la rive-sud et afin d'y parvenir, je devais emprunter le pont Jacques Cartier.
J'étais perdu dans la ville. Je ne pouvais contenir mon angoisse et retrouver
le contrôle de mes émotions et le contrôle de moi-même. Il commença alors à devenir plus spécifique dans ses demandes m'ordonnant
de tourner tantôt à gauche, tantôt à droite me simplifiant la vie d'une certaine façon dans le moment devenu trop intense
au présent. Je fis une première tentative pour me rassurer en lui proposant de le conduire sur la rive-sud, mais que
pour me faciliter la tâche, il devait cesser de me menacer avec son arme. Dans mon for intérieur, j'essayais de me rassurer
en croyant qu'après l'avoir déposé sur la rive-sud je pourrais revenir prendre Liette à l'hôpital et poursuivre mes plans pour
la fin de semaine comme prévu initialement.
Je me voyais déjà avec mon amie en train de lui raconter cette histoire invraisemblable
qui m'était arrivé ce soir-là. Ce fut la seule façon dont je réussis à reprendre le contrôle de moi-même afin d'assurer
une conduite automobile plus ou moins sécuritaire étant donné mon degré d'énervement devenu insupportable.
Je me souviens que je regardais la montre de bord du véhicule et au fur et
à mesure que le temps passait, je voyais mes chances de revenir à temps, s'évanouir. Il était 23h15 lorsque je réalisai que l'homme
n'allait pas me laisser de ci-tôt...
Pendant ce temps de grande confusion émotive, le type commença à me poser des
questions sur moi et la raison de ma présence devant l'hôpital. Il me faisait parler et ne me doutant pas de qui il pouvait
bien être, je répondais avec toute l'innocence de mes 22 ans.
-Que faisais-tu devant l'hôpital?
-J'attendais mon amie qui finit de travailler vers 23h00
-Où alliez-vous?
-Nous allons camper au Mont Tremblant pour la fin de semaine
-Que fais-tu dans la vie?
-Je travaille pour la Banque Canadienne Nationale
-Qu'as-tu apporté avec toi pour le camping?
-Et je lui fis la description de ce que j'avais dans le coffre de la voiture...
-Et ainsi de suite, toujours me questionnant...
La première chose qu'il m'a dite sur lui et sur ce qu'il faisait : « Mon
frère est dans la merde et ce n'est pas la première fois que je dois m'en mêler. Je suis poursuivi et je dois aller sur la
rive-sud le plus vite possible. Il se met toujours dans la merde à cause de le drogue, je dois m'occuper de lui et le sortir
du trouble »
À première vue, il semblait préoccupé par son frère et il était très nerveux.
Après avoir ramassé assez d'informations sur moi, voici comment s'est soudainement
transformé son discours et ses intentions à mon égard. " Je m'appelle Luc. Je travaille pour la GRC et je suis
en vacance. Quand je suis en vacance, je fais des enlèvements de personnes qui travaillent dans les banques, je les gardes
toute la fin de semaine dans une maison que j'ai louée et le lundi matin je fais la demande de rançon à la banque.
D'habitude, j'enlève le couple alors ton amie est dans une autre voiture avec
mon complice et je dois vérifier que tout a marché de ce côté"
Fait à noter que nous étions à une époque où le téléphone cellulaire n'existait
pas encore alors je le voyais qui semblait chercher un signe particulier autour de lui au dehors.
Dans les faits, je sais aujourd'hui qu'il cherchait ses origines (sa famille
peut-être) puisqu'il était natif de Longueuil.
Pour une bonne partie des heures qui ont suivi, je lui demandais sans arrêt
où était la voiture avec mon amie en otage, devant ou derrière nous et pour chaque fois que je posais la question, il
me répondait de me fermer la gueule.
Après environ 45 à 60 minutes de torture, nous étions rendu dans
la zone industrielle de Longueuil. Il m'ordonna alors de sortir de la voiture me faisant passer devant lui alors que ce dernier
voulait prendre le volant pour la suite du voyage.
Pointant ainsi l'arme sur moi, pendant que je passais de l'autre côté du véhicule,
il passait de passager à conducteur par l'intérieur. Une fois remonté à bord, je venais de perdre la dernière chose sur laquelle
j'avais encore un certain contrôle c'est-à-dire la conduite du véhicule bien que depuis la dernière heure, je n'en contrôlais
plus la destination.
Il me tenait avec mon amie devenue invisible et je devais rester fort pour
le moment où l'on devait se retrouver ensemble afin de la rassurer elle-même.
Il me raconta comment il avait loué cette maison dans la région de Sorel et
la façon dont il avait accoutumé le voisinage de l'habitation afin de ne pas éveiller de soupçons. Son histoire était bien
détaillée, le scénario était digne d'une série télévisée.
Après avoir arpenté en long et en large la région de Longueuil sans que
je ne puisse me rassurer ou que je puisse détecter les raisons de ce vagabondage des rues du secteurs, il emprunta la vieille
route 132 direction Sorel sans préavis.
Il conduisait de façon malhabile et dangereuse, me donnant une frousse supplémentaire
à chaque virage et à chaque fois que l'on rencontrait le trafic venant du sens opposé.
Il avait une vitesse irrégulière et ne faisait pas les changements de vitesses
de façon adéquate. En un mot, il ne conduisait pas bien du tout et à deux reprises, j'ai dû moi-même agripper le volant
pour éviter un face à face.
Un peu plus tard, nous avons croisé les lieux d'un accident où nous avons dû
quitter la route pour emprunter l'accotement passant ainsi à quelques pouces d'un agent de la SQ déjà sur les lieux. S'approchant
du policier, Luc m'ordonna de ne pas tenter quoi que ce soit pour alerter le policier sans quoi mon amie allait en souffrir.
L'agent se tenait sur l'accotement en gravier, lampe de poche à la main et passant à pas de tortue je restai immobile. Je
sentais des sueurs froides me couler dans la nuque et constatais que je m'éloignais de la seule chance d'alerter quelqu'un
sur cette position intenable.
Il me tenait bien corps et âme, j'avais perdu toute emprise sur la réalité,
toute emprise sur ma vie. Je ne pouvais même plus respirer, j'étouffais et je ne pouvais même pas ouvrir la fenêtre de la
voiture. Je n'arrivais pas à trouver une façon de me sortir de ce guêpier.
Je devais trouver la force de rester calme, de reprendre le contrôle de moi-
même. Je devais être capable de trouver le moyen de rassurer Liette une fois réunis.
J'étais au bord de l'explosion psychologique, mon corps tout entier tremblait,
je semblais souffrir de catatonie et rien ne s'offrait à moi pour me rassurer. J'étais comme sur une autre planète, enfoui
au plus profond de ma tête sans que je puisse donner un sens à ce qui m'arrivait, enfin autre sens qu'il s'agissait d'une
prise d'otage pour une demande rançon et que tôt ou tard, j'allais me retrouver avec Liette enfin. Il m'avait raconté que
lui et son complice avaient soigneusement préparés tout les détails et qu'ils m'avaient observé depuis un certain temps. Il
me dit m'avoir vu même mettre les objets dans mon véhicule un peu plus tôt dans la journée. Il prit bien soin de donner des
détails sur les événements de la journée toujours en se basant sur les informations que je lui avais fournies moi-même en
toute innocence. Le tout semblait plausible, je ne pus m'apercevoir de la supercherie. Je m'accrocha donc à l'idée que j'allais
vers une maison pour retrouver mon amie et que j'aurais avoir besoin d'être rassurant pour elle.
Il me demanda si j'avais de l'argent. Je lui dis que oui. Il me demanda
de lui remettre la somme que je transportais, ce que je fis. Il demanda si je lui avais tout donné me disant que je serais
fouillé rendu à destination et que s'il trouvait d'autres argents sur moi, mon amie allait en souffrir. Je lui avais remis
la totalité de mes 180.00 dollars et ensuite j'avais glissé mon portefeuille dans ma ceinture. Il contenait mes papiers d'identité
et quelques cartes de crédits.
Nous étions toujours sur la même route qui passait en bordure du fleuve St-
Laurent, l'ancienne route trois mais je n'en savais rien; ce détail me fut révélé beaucoup plus tard.
Au bout de cette route, il ne semblait pas y avoir d'issue. L'endroit était
sombre et la route se transformait en petit pont de bois qui enjambait une rivière où je crus, un court instant, qu'il allait
m'y noyer. C'était la région des îles de Sorel mais je n'en savais rien. Il y avait là quelques vieux bâtiments de ferme et
soudainement, Luc fit demi tour. En effet, pour moi il s'était présenté comme « Luc ». Il avait dû apercevoir quelque
chose de menaçant, un témoin peut être? Nous reprîmes le chemin en direction opposée cette fois. A partir de ce moment du
voyage, je n'arriva plus à reprendre mon sens de l'orientation dans ces routes non éclairées. Je venais de perdre le nord
et sans figure de style. Il monta la vitesse à près de 70 milles à l'heure en première vitesse comme s'il s'agissait d'une
voiture à transmission automatique, seulement elle était manuelle. J'eus l'impression qu'un piston allait passer au travers
du bloc moteur tant le vacarme de l'engin dépassait de loin sa capacité à encaisser une telle commande.
Il n'avait pas l'air à l'aise avec la conduite de mon véhicule, mais
je n'étais pas surpris outre mesure car moi-même qui en étais à mon troisième véhicule à transmission manuelle, j'avais eu
de la difficulté à m'adapter à ce gros V8 à quatre vitesses au plancher et à la puissance exceptionnelle du moteur.
Je savais que nous empruntions le chemin déjà parcouru mais cette fois en direction
inverse et cela a eu pour effet d'augmenter la confusion. Désormais la seule question qui m'importait était de savoir si mon
amie était devant ou derrière nous et quand nous devions être réuni. Le reste n'existait pas dans mon esprit torturé par le
silence et les "Fermes ta gueule". Les silences devenaient de plus en plus longs, j'arrivais tant bien que mal à contrôler
le tremblement de mon corps froid portant cette tête qui tentais de résoudre le problème, mais sans succès.
Nous nous sommes retrouvés sur un chemin de campagne qui devait être identifié
plus tard comme étant le chemin St-Roch à Tracy. Il tourna à gauche sans prévenir et emprunta une espèce d'entrée en terre
battue avec deux traces pour les roues de la voiture et au milieu de l'herbe assez longue pour déduire que ce sentier n'était
pas beaucoup fréquenté. L'endroit était bordé d'arbres de bonnes tailles et rien d'autre pour indiquer la présence de maison
ou de quoi que ce soit de rassurant. Un camion se dirigea vers nous ouvrant le chemin devant lui de ses quatre phares allumés
très aveuglant. Luc fit marche arrière avant que le véhicule ne nous aperçoive. Il démontrait une fixation à ce que personne
ne nous rencontre et rebroussa chemin à grande vitesse.
J'étais au bord de la rupture de tout mes sens, mes émotions au comble de la
panique avec toute la confusion possible à imaginer en une fraction de seconde.
Il reprit alors la route mais cette fois, il n'allait pas vite et on s'enfonçait
davantage dans l'inconnu s'éloignant ainsi toujours plus de toute civilisation. Il n'y avait que des arbres, aucune habitation
n'était visible de la route que l'on parcourait, rien n'était rassurant. Bien qu'à l'extérieur je ne démontrais que peu de
réactions désormais, à l'intérieur il en était autrement. J'essayais de rationaliser, j'essayais de comprendre. Dans le silence
de la nuit, dans le noir de la forêt la seule chose qui me servait de point de repère était le tableau de bord illuminé de
ma voiture.
L'horreur
Nous étions maintenant rendu le 12 juillet aux petites heures du matin. La
lune brillait de tous ses feux dans un ciel sans nuage. Soudainement, il tourna à droite quittant ainsi la route pour la dernière
fois. Il s'agissait d'une ouverture dans la forêt et entre les arbres s'offrait un tapis de sable qui conduisait à une
clairière. C'était comme un espace qui avait été déboisé exprès pour conduire à une habitation dans la forêt. Il fit un nouveau
virage de 90 degrés et immobilisa le véhicule. Coupant la clé de contact, il déclara: « Nous sommes arrivés ». Il
sortit alors de la voiture laissant la porte ouverte coté chauffeur. Un bref instant je fus seul dans la voiture, regardant
autour de moi, je constata que malgré l'espace suffisant pour recevoir au moins une autre voiture, personne d'autre que
nous n'était là. Regardant dehors, je ne pouvais voir qu'aucune habitation n'était construite vu l'état sauvage
de l'environnement.
Il se tenait debout dehors, pointant l'arme sur moi et m'ordonna de sortir
de la voiture. Il continua à essayer de me faire croire qu'une maison était là plus loin et que quelqu'un nous y attendait.
Je ne croyais plus maintenant ce qu'il me disait et je refusai de sortir. Je lui demandai où se trouvait mon amie et ne répondant
pas à la question il m'ordonna à nouveau de sortir de la voiture. Je savais que j'allais me faire tuer. Face à mon refus
de quitter ma place il plaça l'arme à feu à sa ceinture et agrippa mes deux bras pour me traîner hors du véhicule. Il me passa
par-dessus la console et je tombai par terre dans l'ouverture de la portière.
Il reprit son arme le temps de me relever.
Me menaçant à nouveau, il m'ordonna de marcher devant lui vers une colline
qui menait à un sentier étroit dans la forêt. Après quelques minutes de marche, je vis devant moi qu'il n'y avait pas d'issue
et il y avait des arbres qui me barraient le chemin. C'était la fin de la
randonnée. Lui-même constatant que je ne pouvais plus progresser, il me poussa devant lui. Je me retournai face à lui à seulement
quelques pieds de son poing qui tenait l'arme pointée sur moi depuis trop longtemps maintenant.
Il devait se passer quelque chose mais malgré l'évidence de la situation, je
ne voulais pas croire que j'allais me faire tuer comme une bête. Il aperçut alors quelque chose à ma ceinture et
me demanda ce que c'était. Je lui répondis qu'il s'agissait de mon portefeuille
contenant mes cartes de crédit et pièces d'identité. Il déclara alors : « Là où tu t'en vas, tu n'en as pas besoin »,
et je lui remis l'objet sans discuter.
Venant de nulle part, il devint habité d'une sorte de haine avec ses yeux sortis
de leurs orbites. Il me cria alors qu'il allait me tirer dans la tête. Je portai mes mains à ma tête en levant les bras
et le temps que celles-ci atteignent mon visage en se croisant, je vis le feu sortir du canon de l'arme et pénétrer
mon thorax. La détonation était extrêmement claire et forte, elle marqua la fin de la conversation si on peut appeler ça comme
cela.
Je gardai pour des années qui suivirent, le son particulier d'une arme à feu
que l'on actionne dans une forêt au beau milieu de la nuit. À l'écrire, je l'entend encore.
Je devins de guenille, je sentais une grande brûlure qui me transperçait jusque
dans le dos. Je m'effondrai aussitôt, mais comme au ralenti, devant l'agresseur. Par la suite il posa le canon de l'arme
sur ma tempe et je fis l'expérience d'une forme de temps suspendu.
L'horloge venait de s'arrêter. J'eus le temps de réaliser et d'anticiper ma
mort imminente qui ne dépendais plus que de la pression sur la détente. J'entendis le mécanisme de l'arme être actionné
mais rien d'autre. Encore une fois, le son était clair et tranchant par rapport au silence de la nuit, c'était le bruit d'un
ressort et de pièces métalliques en mouvement les une se frottant sur les autres à l'intérieur du revolver. A ma grande stupéfaction,
je réalisai que la balle n'était pas sortie, qu'il n'y avait pas eu de détonation comme au premier coup tiré.
Des années plus tard, j'appris que le rapport balistique démontrait qu'il
y eut une pression de six livres sur la détente mais que la balle s'était enrayée dans l'arme.
Je n'étais pas au bout de mes surprises car après avoir réalisé que j'étais
toujours en vie, une magie s'opéra en moi. Ma tête fut envahie par des sketchs représentant tout les faits marquants de ma
vie précédant cet attentat abominable et envers lequel je ne pouvais plus rien à ce stade ci.
Je vis dans ma tête le défilement en couleur et en trois dimensions du
film de ma vie. Je me vis tout petit, dans les bras de mon grand père, au souper de mon anniversaire. Je voyais le gâteau
sur lequel ma mère avait déposé un vaisseau spatial en guise de décoration. Je revoyais, comme un spectateur, et avec tous
les détails, les évènements de toute ma vie. Je pouvais voir, entendre, sentir les odeurs et me rappeler d'absolument tout.
Malgré le contenu impressionnant de tout ces souvenirs, le tout se
déroula en une fraction de seconde.
Se succédant ainsi les faits qui m'avaient marqués, l'histoire s'arrêta
au moment présent, le revolver était encore sur ma tête. Je sentais le canon froid duquel la dernière balle n'était pas sorti
par miracle.
Je décidai de faire le mort croyant qu'ainsi, Luc me laisserait tranquille.
Alors qu'il se releva de sa position accroupie, je remplis mes poumons de tout l'air qu'ils pouvaient contenir. Je me tournai
sur le ventre, les deux bras en croix, feignant la mort pour ne pas laisser voir à Luc que j'étais encore en vie. Je retenais
mon souffle, il n'y avait qu'un mince filet d'air, imperceptible, que je laissais passé par ma bouche pour rester en
vie.
Malgré tout, il s'assit sur mes jambes, à la hauteur des genoux; il semblait
chercher quelque chose dans ses poches. Un instant plus tard, je reçus un premier coup dans le dos.
Je sentis ma peau s'ouvrir par un objet pointu qui s'enfonça dans mon corps
à la hauteur de l'omoplate gauche. La course de l'objet se termina par un coup de poing violent et puissant, ce fut comme
un coup de masse. La sensation était celle d'un objet de métal froid dans des tissus vivants et chauds, mes tissus. Quand
la lame de quatre pouces sortit de ma peau, elle fut suivie d'une cascade de sang très chaud qui coula sur ma peau.
Il donna un deuxième coup, cette fois du côté droit sous l'omoplate. Encore
une fois, je sentis le métal ouvrir la peau en profondeur et le deuxième coup de poing qui arrêtait la course du couteau
dans mes entrailles.
Le troisième coup, il revint du côté gauche, sous le premier coup et avec la
même intensité, il enfonça l'objet encore une fois.
Du côté droit cette fois, il revint frapper un quatrième coup sous le deuxième.
Il continua ainsi, allant de gauche à droite en descendant pour un cinquième
coup.
C'est là, au cinquième coup, que j'ai arrêté de compter. Je retenais toujours
mon souffle, et je restai ainsi immobile et conscient pendant qu'il me défonça ainsi avec sa lame et son poing. Il continua
à s'acharner de la sorte malgré le fait que je ne donnais aucun signe de vie.
Un autre coup, encore un autre, puis un coup supplémentaire, encore une fois,
et encore, encore et encore, et pour une dernière fois il termina par un autre coup.
Comment pouvait-il être possible de tirer puis de poignarder un être humain
de la sorte. Il n'avait pas de mobile. Je ne comprenais pas le pourquoi. Il a certainement dû y prendre plaisir ou quelque
chose comme ça. Il n'y a pas eu d'altercation, seulement un acte gratuit sans aucun mobile.
Mon corps devenait engourdi et je me sentais de plus en plus me détacher de
la scène d'horreur. Je sentais que mon esprit quittait mon corps petit à petit. Ma conscience était intacte alors
que mes autres sens s'effaçaient dans la nuit...